Vous avez déjà ressenti un léger malaise en voyant un avatar trop réaliste dans un module de formation en réalité virtuelle ? Ou en entendant une voix synthétique qui semble presque humaine, mais pas tout à fait ? Si oui, félicitations, vous avez probablement traversé la vallée de l’étrange, ce phénomène décrit par Masahiro Mori en 1970.

L’idée est simple : plus un robot, un avatar ou une voix artificielle ressemble à un humain sans être parfait, plus il nous met mal à l’aise. Une marionnette stylisée ? Pas de problème. Un humanoïde ultra-réaliste mais un peu "off" ? Une sensation étrange de mal-être nous parcourt l’échine. Pour nous, concepteurs pédagogiques, ingénieurs pédagogiques et formateurs, une question se pose : comment éviter cet effet et s’assurer que les avatars et voix synthétiques améliorent, plutôt que perturbent, l’expérience d’apprentissage ?

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Quand l’avatar devient trop humain… et que ça dérange

En 2018 jusqu'en 2023, j'ai beaucoup travaillé sur la réalité virtuelle pédagogique. C'est à cette époque que j'ai découvert ce phénomène de la vallée de l'étrange, sur lequel je me suis pas mal renseigné à l'époque. Dans les formations en réalité virtuelle (VR), des avatars peuvent être utilisés pour représenter des formateurs, des apprenants ou des personnages avec lesquels l’utilisateur interagit. Une étude récente montre que plus un avatar est photoréaliste, plus il est perçu comme digne de confiance et engageant… à condition qu’il traverse la vallée de l’étrange et atteigne un niveau de réalisme suffisant. Mais attention : dès que quelque chose cloche (expressions faciales rigides, mouvements légèrement décalés, regard fixe), le malaise s’installe. Le cerveau humain est câblé pour détecter ces incohérences, et cela peut nuire à l’expérience d’apprentissage en détournant l’attention de l’apprenant.

Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas aux avatars en 3D. Les voix synthétiques tombent elles aussi dans une "vallée de l’étrange". Une voix trop robotique ? Acceptable. Une voix presque naturelle, mais avec des intonations étranges ou un rythme artificiel ? Malaise.


Pourquoi ça peut poser un vrai problème en formation ?

Dans certains cas, lors de la mise en oeuvre de modalités pédagogiques spécifiques, l’apprentissage repose sur la relation entre l’apprenant et son interlocuteur. Si l’interlocuteur est un humain, à priori, tout va bien. A priori… Mais si celui-ci est un avatar ou une voix artificielle, sa tendance à “tomber dans la vallée de l’étrange” peut être un véritable obstacle et faire passer l’interlocuteur du statut de facilitateur à celui de créature numérique aussi engageante qu’un répondeur téléphonique des années 90.. Plusieurs études montrent que des avatars trop réalistes mais imparfaits peuvent :

L'impact de la pertinence visuelle d'un avatar sur l'engagement et la motivation des apprenants est directement lié au phénomène de la vallée de l'étrange. D'une part, des recherches indiquent qu'un avatar réaliste, une fois la vallée de l'étrange franchie avec succès, peut susciter une plus grande affinité, confiance et préférence chez les utilisateurs par rapport à un avatar de type cartoon (Seymour et al., Sections 4.1.2-4.1.4). Ces 3 facteurs sont importants car l'affinité et la confiance sont positivement liées aux préférences d'interaction et à l'engagement général avec l'agent virtuel (Seymour et al., Section 2.3), influençant potentiellement la motivation à suivre la formation. L'environnement de visualisation joue aussi un rôle, l'immersion offerte par les casques VR pouvant renforcer l'affinité et la préférence pour un avatar réaliste réussi (Seymour et al., p. 1754, Sections 4.1.2 & 4.1.4).

Cependant, le risque réside dans la chute au sein de la vallée : les avatars semi-réalistes, ceux qui sont "presque humains", sont souvent perçus comme plus étranges  et suscitent un sentiment de malaise (Gorlini et al., p. 6, Table II). Des études utilisant l'EEG (électroencéphalogramme) suggèrent que ce malaise pourrait provenir d'un conflit cognitif détecté plus tard dans le traitement cérébral, où une attente initiale d'humanité basée sur l'apparence est contredite par la perception de non-humanité, nécessitant une "correction d'erreur" (Gorlini et al., p. 7, Section V). Ce cafouillage mental pompe de l'énergie et détourne l'attention de ce qui compte vraiment : le contenu de la formation. Et le coup de grâce ? Savoir qu'une IA pilote un avatar réaliste peut suffire à le rendre "creepy" ou "spooky" aux yeux de certains, même s'il est visuellement nickel, alors que le même avatar contrôlé par un humain passerait beaucoup mieux (Seymour et al., p. 1755, Section 4.2.3).

Et c’est pas moi qui le dit, mais ces études intéressantes sur le sujet :

investigating-the-uncanny-valley-phenomenon-through-the-3j8z8ljy.pdf

crossing-the-uncanny-valley-understanding-affinity-2c4brlrlpg.pdf

Bref, si l’avatar est trop étrange, l’apprenant passe plus de temps à se demander "Pourquoi est-ce que ce truc me met mal à l’aise ?" qu’à réellement apprendre.